La galerie Anne de Villepoix a le plaisir de vous présenter l’exposition « Dans la Splendeur de la nuit », du 18 décembre 2025 au 15 février 2026, avec des œuvres de Leslie Amine, Noel Anderson, Atsoupé, Omar Ba, Bouvy Enkobo, Yashua Klos, Franck Lundangi, Godwin Champs Namuyimba, Xiomara de Oliver et Barthelemy Toguo.
En découvrant les œuvres de nombreux artistes afrodescendants, on mesure à quel point, ils s’efforcent fréquemment de rendre justice aux victimes du destin de l'histoire occidentale, en restituant leur grandeur à tous ceux qui avaient été dépouillés de leur maîtrise. Ne s’agit-il pas pour tous ces créateurs de rendre leur beauté, en les peignant mille fois sur les murs afin de les faire revivre ; de restituer leur véritable image trop souvent maquillée, sous le masque trompeur de la caricature ?
N’est-ce pas ce qui confère cette noblesse de Déesse noire aux trois portraits peints par l’artiste togolaise Atsoupé, et dont le contour des visages témoigne d’une fluidité sans pareille du trait, tranchant avec la présence, parfois, inquiétante d’une tache de sang ? Ne retrouve-t-on pas cette même ferveur chez Xiomara De Oliver, dont les peintures semblent édifiées à la gloire de toutes ces femmes noires, afro-américaines, dans leurs postures souvent mystérieuses et lointaines. Cette galerie de portraits, avec tous ces visages trop longtemps absents de nos musées, trouvent là leur parousie insistante, comme dans le charme mystérieux des peintures de l’artiste ougandais Godwin Champs Namuyimba, dont la mélancolie rêveuse des personnages à la peau d’ébène, semble nous envoûter du fond de leur yeux noirs.
Toutefois, si une majorité d’artistes présentés dans l’exposition restitue la mémoire et le devenir des identités afrodescendantes, on ne doit pas interpréter l’originalité de leurs démarches à l’aune de ce seul critère. C’est par leurs audaces formelles, et le goût prononcé de leurs expérimentations, qu’il faut également apprécier la richesse esthétique de leurs œuvres. Par exemple, si les deux artistes new-yorkais Noel W. Anderson et Yashua Klos interrogent bien la perception de l’image des noirs aux États-Unis, ils s’efforcent de le faire à travers un alliage aussi audacieux qu’insolite de médiums, comme la tapisserie, la gravure, et la sculpture.
Ainsi, en passant aux cribles de la tapisserie jacquard, l’imagerie mass médiatique de la masculinité noire (des stars de la NBA aux corps noirs asservis, humiliés de la quotidienneté), Anderson emporte l’image stéréotypée de ces afro-américains dans tout un jeu de distorsions optiques insoupçonnées. Les images se floutent, flottent et se plissent, en finissant par dissoudre leur pseudo-réalisme, dans un entre-deux de figuration et d’abstraction, révélant ainsi leur caractère de simulacre.
De son côté, Yashua Klos se sert des techniques de gravure et d’incisions complexes pour élaborer ses estampes et ses sculptures de bois, afin de parvenir à une forme de déconstruction plastique de la visagéïté noire, conférant à ses œuvres des allures de collages néo-cubistes, mâtinés de scarifications ancestrales africaines. Ne s’agit-il pas de donner une forme sensible à cette « fragmentation de l'identité afro-américaine », en révélant les blessures et les possibilités résilientes de la mémoire post-coloniale ?
Différemment, l’artiste togolais Ferdinand Kokou Makouvia, s’empare d’une autre blessure de l’identité afrodescendante, qui entraîne le continent africain, dans un vaste « devenir déchet », transformant son pays en terre de recyclage des détritus de l’Occident.
De ce point de vue, les sculptures de Makouvia semblent comme une réponse joyeuse et poétique à l’humiliation de voir son pays transformé en poubelle. En réemployant ces rebuts, tels que chambres à air usagées, boites de carton et autres éléments de récupération, Makouvia finit par explorer les potentialités des matériaux les plus divers (caoutchouc, cuivre, bois, plastique, fer, terre) tout en expérimentant diverses techniques vernaculaires de sa propre culture (charpenterie, ferronnerie, terre-cuite). Ainsi, la sculpture de 2019 Apékin, cristallise à elle seule ce gai savoir-faire, en reprenant un jeu initié durant l’enfance de l’artiste avec ce pliage de morceaux de cuivres associé à la force du bois.
De même, comment ne pas être saisi par le dytique Face à face du peintre congolais Bouvy Enkobo, dans lequel un homme et une femme se regardent ? Cette scène d’échange paisible n’est-elle pas également menacée, par une autre pollution, aussi visuelle que sonore ? Celle qui sature nos consciences en remplissant de slogans, de messages et de pubs, tous les murs de nos villes, ainsi que nos écrans…Le caractère silencieux de ces tableaux, est d’autant plus intense qu’il se fait en contrepoint de ce brouhaha de rumeurs visuelles montant du tréfonds de la toile. Bouvy Enkobo se joue, en effet, de l’écart entre une peinture figurative explicite et un travail plastique de décomposition des fonds, conférant à ses arrière-plans l’allure des affiches déchirées de Villeglé ou de Hains. Pour cela le peintre s’est fait colporteur d’affiches commerciales, électorales, ou de journaux remplis de graffitis, qu’il récupère principalement à Kinshasa.
Leslie Amine, pour sa part, travaille les jeux d’opacité et de transparence, en superposant des figures dessinées pour faire apparaître différentes strates d’une même image. Chaque toile devient, ainsi, un espace diffracté venant déjouer la reconnaissance hâtive des formes et des motifs qui le composent. Ses tableaux se distribuent en séries aisément identifiables par les thématiques abordées, comme celui du motif du livreur de rue (déliveroo). La peintre n’a-t-elle pas su rendre de la sorte leur présence évanescente, à l’image de la précarité de ces nouveaux métiers, symboles de nos économie ubérisées, et dont les travailleurs d’origine africaine, sont souvent les premiers acteurs ?
Pour sa série de 2012, dont est extrait un petit tableau sur fond noir exposé dans la galerie, le peintre Omar Ba avait, quant à lui, délaissé la toile pour peindre sur du carton, ses motifs énigmatiques d’une grande poésie visuelle, déjouant souvent toutes interprétations naïves. Ce support sommaire semble s’accorder avec le caractère fruste du sort de ces migrants, dont l’artiste évoque le périple obscur avec cette barque échouée. N’est-il pas lui-même en tant qu’artiste semblable à ces milliers de compatriotes sénégalais qui ont quitté leur pays, et dont l’existence témoigne, pourtant, d’insoupçonnables richesses ?
Et, que dire de Franck Lundangi qui n’avait que trois ans quand ses parents choisirent de s’exiler au Zaïre, fuyant la guerre qui ravageait l’Angola. Après avoir renoncé à une carrière de footballeur, puis être sans papiers, et réfugié chez un ami pour échapper à la police, il s’empara de crayons et pinceaux pour devenir, dès lors, ce peintre si singulier du paradis perdu.
Tous ces artistes ont, pour la plupart, passé la majeure partie de leur vie loin de leur terre natale. D’où, peut-être l’omniprésence du motif de l’entrelacement de l’humain au monde végétal qui traverse aussi bien la peinture de Lundangi que celle d’Omar Ba ou des œuvres de Barthelemy Toguo. On peut d’ailleurs découvrir deux aquarelles à l’encre dernier, la ductilité sensuelle des corps est toujours pondérée par la présence d’épines, témoin de la mémoire de ses ancêtres, longtemps soumis au joug de l’esclavage (The Labour Market).
Une légende du peuple Bamiléké à l’ouest de son pays, le Cameroun, raconte qu’une divinité s’en va la nuit tombée, distribuer en guise de punition à tous ceux qui ont transgressé les valeurs de la communauté, des paquets de larmes, de chagrins, et d’autres malheurs. Barthélémy Toguo a réécrit cette fable en inversant le propos, imaginant pour l’une de ses installation célèbre, la figure de l’artiste comme celui qui a su traverser la nuit de l’exil, pour venir distribuer ses ballots de richesses à tous ceux qui l’écoute
Philippe Godin
