Sentinelle: Michel Gouéry

8 Juin - 31 Août 2013
La galerie Anne de Villepoix présente Sentinelle, une exposition personnelle de Michel Gouéry du 08 juin au 31 août 2013.
L’artiste, né en 1959, a nourri son œuvre de cinéma, de bande-dessiné, de science-fiction, de Dada et de Surréalisme sans aucun doute. Il étudie à l’école des Beaux Arts de Rennes dans les années 80. En 1986 et 1987, il est pensionnaire de la célèbre Villa Médicis de Rome. Michel Gouéry qui vit et travaille à Paris présente un ensemble de sculptures en céramique où l’on trouve des créatures plus ou moins humanoïdes avec des disproportions souvent curieuses, des guirlandes murales en relief où humain et végétal s’entremêlent. Certaines pièces font penser à des anémones de mer, des coraux ou des crustacés. L’artiste a longtemps collectionné les fossiles. Ailleurs ce sont des totems qui sont à mi-chemin entre le bâton druidique et la crosse papale.
Des visages émergent parfois de la matière comme prisonniers d’elle et tentant de s’extirper de cette geôle étouffante. Cette céramique, désormais son matériau de prédilection, est lisse ou granuleuse, parfois mat ou avec des effets moirés et confirme toute la virtuosité de l’artiste. Mais Michel Gouéry n’a pas toujours été sculpteur. Dans les années 90, il est surtout peintre ; c’est seulement dans la seconde partie de cette décennie qu’il commence à réaliser quelques sculptures en terre cuite. Il date sa première réalisation à 1996 : une parodie d’une sculpture de Camille Saint Jacques. Pourquoi arrêter la peinture au profit de la sculpture ? L’artiste s’en justifie en déclarant : « Les peintures étaient de plus en plus longues à faire et lorsque j’ai commencé la sculpture, je suis redevenu comme un enfant en train de travailler sa pâte à modeler sur la table ». La singularité de l’artiste a été saluée en 2012 par une exposition au FRAC Auvergne « Sortie de vortex » et à la rentrée 2013 Michel Gouéry s’envolera avec ces créatures spatiales pour être exposé au MAD ( Museum of Arts and Design) de New York.
 
PROJECT ROOM 
Jean Denant - ” Draft ”
 
Comme un écho entre les murs, de la grande à la petite histoire, Jean Denant choisit ses sujets avec précision. Il fabrique des images, les construits patiemment jusqu’à parvenir à la représentation de paysages urbains, d’êtres humains et d’objets. Il utilise des matériaux du bâtiment, dont il détourne l’usage. Il peint et creuse le placoplatre, imprime sur le plâtre. Ces matières, habituellement appréciées pour leur facilité de mise en œuvre sont peu adaptées pour traverser les siècles. Là est tout le paradoxe de l’œuvre de l’artiste.
Comment porter ce regard si singulier sur le monde en déjouant un des fondamentaux de l’art qu’est la pérennité ? Comment s’inscrire dans cette trajectoire universelle en anticipant la poussière ? Le travail de Jean Denant révèle ici toute la difficulté d’être ambitieux en évitant l’écueil de la vanité. Il est semblable aux hommes et au monde, périssable, il anticipe sa chute et devient le miroir fidèle de notre fin annoncée. De matériaux fragiles et réfractaires, Jean parvient à tirer la substantifique moelle, il les magnifie. Une palette précise, des gris, papiers ou bétons, des blancs, feuille ou plâtre, des noirs francs, d’autres délavés, du bleu peinture ou polystyrène, les teintes chaudes des bois, et toujours posé au final, l’orange fluorescent, venant sonner la fin du chantier, l’achèvement du work in progress par la projection déplacée de l’espace mental de l’artiste. Une couleur sanction qui produit un glissement mémoriel, trace rémanente du projet et de l’atelier. Tautologie absolue que celle d’une touche fidèle et précieuse, abîmée d’un dernier signe qui brouille l’harmonie de son travail présent, empreinte visuelle de sa réflexion sur ses démarches futures.

Si j’aborde le travail de Jean Denant par les matières, les gestes, les supports et les couleurs, c’est qu’il fait partie des artistes pour lesquels la dimension plastique est aussi importante que le sujet. L’image est extirpée de ces matériaux classiques de construction qui portent en eux la dimension symbolique que Jean s’attache à exposer. Il confronte des univers variés où la présence humaine est toujours en lutte pour son émancipation. 
 
Sur ce tableau réalisé sur une planche de bois de construction encore marquée du nom de son fabricant, il a, en quelques gestes, éraflé et gravé l’image d’un homme s’acharnant sur un mur une masse à la main.
Berlin, son mur absolu, celui d’une frontière totalitaire absurde, symbole de l’enfermement étatique de tout un peuple. Cette image et l’événement dont elle résulte, sonnent, pour la génération de l’artiste le glas de la post modernité. Après la chute du mur, le tourbillon libéral a accéléré l’érosion inéluctable de nos convictions et la planète est partie en vrille. Nous vivons aujourd’hui les répliques perpétuelles des atermoiements cyniques de Yalta. Ce mur entre en écho avec d’autres aux apparences plus anodines, plus quotidiennes de bâtiments en construction.
Immeubles dont l’état oscille entre chantier et ruine, images partiellement achevées qui malgré la rigueur des lignes et des perspectives, laissent subsister le flou d’une exactitude incertaine. C’est à cet endroit précis que la touche picturale de Jean Denant remplit son office perturbateur, maintenant le doute dans un territoire d’où toute certitude est bannie.
L’objectif ultime est de laisser une empreinte, trace singulière parce que fragile. Mais une œuvre de qualité n’est-elle pas celle qui se grandit de ses propres paradoxes ? De tous temps, les artistes ont repoussé les limites des méthodes de conservation des œuvres. Jean Denant rejoint ici, Rauschenberg ou les nouveaux réalistes par l’usage de matériaux aux pouvoirs symboliques puissants mais aux vertus de conservation limitées. Il s’inscrit dans son temps non seulement par l’acuité de ses thématiques mais aussi par l’audace et la pertinence de ses choix plastiques. 
 
Comme disait Deleuze, « il faut bégayer son propre langage ». Chez Jean Denant, ce bégaiement engendre un écho qui s’amplifie d’œuvre en œuvre et donne à son travail, en partie consacré au doute, une assurance toute entière contenue dans sa force plastique.
Manuel Pomar, directeur du centre d’art Lieu-Commun, Toulouse.