52 ans après mai 68 et les pavés sous la plage, un demi-siècle après la vague hippie et les pantalons pat d’eph, La Galerie Anne de Villepoix nous convie à une autre révolution où les clameurs se sont tues pour faire place à un peace and love plus affirmé que tendance.
Il est vrai qu’un trimestre de « confinement pandémique » est passé par là, laissant derrière lui des milliers de morts, des familles dévastées, des individus en quête de repères. De ces journées noires où les chiffres des défunts tournaient en boucle et les discours devenaient obsessionnels il n’y avait rien à tirer sinon des heures creuses et d’autres schizophréniques. Il fallait absolument couper le fil d’actualité sur les manques, les erreurs manifestes, les « y’a qu’à, il faut » des donneurs de leçons et se démarquer de cette ère du soupçon, voire du complotisme pour aborder l’après avec optimisme et un certain plaisir libérateur.
FLOWER POWER n’est en rien un revival et ne tombe pas dans les poncifs d’un passé retrouvé. C’est encore moins un effet de mode, un pétard qui fait pschitt et s’éteint aussitôt. Les choix des artistes sont affirmés et assumés, en rupture avec l’air du temps mais s’inscrivant dans la durée, sur une ligne d’horizon qui s’étend jusqu’à l’infini. Marcella Barello, Marcos Bontempo, Armando Mariño, Alberto Sorbelli et Yveline Tropea forment un groupe de world-painters réunis pour la circonstance. Chacun vient avec sa sensibilité, son style, sa perception d’un printemps de tous les possibles. Ce qui aurait pu paraître disparate, décousu prend ici le foisonnement d’un bouquet aux senteurs florales inspirées. Chacun amène sa flagrance picturale avec un bonheur non dissimulé. Ce délicieux jardin se nourrit d’influences diverses, de notes méditerranéennes, de mystères africains, d’épices caribéennes pour nous délivrer l’essence de la volupté, le charme insolent d’un printemps délicieusement transgressif. Ce patchwork improbable fonctionne à merveille pour le plaisir de nos yeux et des sens.
Marcella Barello s’est éloignée de ses terres catalanes pour se lover dans un Japon où une extraordinaire palette de roses la porte vers un Éden réinventé. Ses compositions d’une étrange sensualité oscillent entre la pureté originelle et une ode à l’amour. Rarement ces dernières années on n’avait aussi bien traduit le langage des fleurs. Les références impressionnistes comme la délicatesse du pays du soleil levant sont ici mises en exergue pour que la jeune artiste donne libre cours à son propre univers. L’amour s’affranchit de l’adolescence et se révèle entre pudeur acidulée et un rapport fusionnel à la nature.
Il ne pouvait y avoir de paradis terrestre sans une présence animale. Animale ou humaine ? Il y a tant de connivence entre Marcos Bontempo et ses chevaux qu’on finit par superposer, le sujet et son auteur. La complicité entre l’équidé et son compagnon donne lieu à une série de portraits colorés, expressionnistes où l’âme du peintre habite celle du meilleur ami de l’homme. Argentin vivant à Ronda, en Andalousie, Bontempo s’est plongé dans cette région aride où le catholicisme est encore très présent. Vouant aux chevaux une passion à la fois poétique et nostalgique, quasiment mystique, il entretient avec eux une relation que Cervantès n’aurait pas renié.
D’une Espagne à une autre il y eut des caravelles et autres bateaux dont certains transportèrent des africains jusqu’aux Amériques. Les Caraïbes furent sillonnées par des marchands d’esclave, par des négriers qui ont généré une afro-descendance dont les rites, les cultures se sont mêlées à ceux des autochtones. Armando Mariño est l’âme cubaine de ce jardin secret, un gourou qui nous envoûte avec la ferveur de sa latinité et l’animisme d’une Afrique toujours présente. Il est une présence essentielle de ce collectif auquel il apporte sa part de mystère, de vaudou et d’arômes ensorcelants.
Comment ne pas s’attarder sur les fleurs élégantes et profondément méditerranéennes d’Alberto Sobelli ? Elles font l’objet d’attentions particulières comme celles portées à des dames aristocratiques dont il se fait le portraitiste. Elles sont ici en pâmoison, la tête haute, la corolle offerte aux doigts délicats du jardinier amoureux. Dressées sur leurs grandes tiges nos belles se prêtent à la vivacité du trait et à un désir d’être courtisée. L’art du peintre n’est-il pas de donner des éclats de vie à tout ce qu’il magnifie. C’est ici chose faite.
Le jardin nocturne et secret d’Yveline Tropea est loin d’avoir livré tous ses mystères. Il est à la fois africain et d’un ailleurs indéfinissable, un paysage perlé de légendes inconnues où l’on perçoit des créatures divines et des humains. Flamboyant et énigmatique cet havre de paix ne serait-il pas un rêve, un passage entre le réel et un imaginaire habités par une artiste à qui l’Afrique et plus particulièrement le Burkina Faso offrent un univers de contrastes.
On se laisse prendre dans cet entre-deux qui nous enchante. Mais il n’y a pas de printemps sans renaissance. Uman, artiste transgenre, qui avait quitté sa Somalie pour renaître aux USA symbolise à elle seule toute la complexité de la nature végétale et, par la même occasion, de la nature humaine. Chrysalide fantasque, papillon de nuit, elle se met en scène et se fond dans un jardin brumeux. Ses aubes sont autant miraculées que sa vie, aussi délicates que vindicatives. Ses pétales blanches sont un hymne à la pureté et à la différence.
Il ne reste plus qu’à plonger dans cette atmosphère bucolique, à nous enivrer de ces couleurs qui du rose pâle au rouge profond se révèlent être des terres d’accueil où il fait bon vivre. C’est encore une fois une invitation au voyage vers des territoires de l’inconnu qui tiennent en éveil notre curiosité. Ce nouveau langage des fleurs exerce un délicieux pouvoir sur nos émotions.
Floréal Duran
Avec les oeuvres de Marcella Barello, Marcos Bontempo, Armando Mariño, Alberto Sorbelli et Yveline Tropea.