La Galerie Anne de Villepoix est heureuse de vous présenter la première exposition personnelle de peintures de l’artiste d’origine togolaise : Atsoupé.
C’est une multitude de visages, la plupart féminins, qui nous fixent de leurs regards insistants et perdus. Même lorsque Atsoupé délaisse la peinture pour d’étranges sculptures en formes de poupées dépourvues de leurs têtes, la puissance du visage transparaît du sceau de son absence. La jeune artiste d’origine Togolaise en affrontant cette thématique inscrit, ainsi, son art dans une longue tradition des maîtres du passé, qui, de Giotto à Bacon, de Goya à Louise Bourgeois, ou des frères Le Nain à Picasso ont questionné l’énigme du visage.
Pourtant, les têtes fréquemment suturées, et rehaussées d’un ensemble de lainages ou de passementeries en guise d’ornements n’ont rien de cette peinture de genre qu’on appelle le portrait. Ici, nul souci de ressemblance ! La peintre n’a pas à s’inquiéter des affaires d’exactitude et de beauté qui firent dire à Matisse « qu’un portrait est une brouille… » son propos est ailleurs. On ne sait rien, du reste, de tous ces visages qui semblent autant de figures anonymes, flottant sans corps, à l’instar d’ectoplasmes errant dans l’entre-deux de la vie et la mort. Sont-ils des réminiscences hantant la mémoire de l’artiste, à la manière de fantômes inquiétants surgis de ses premières années vécues dans des pays d’Afrique ravagés par la guerre ? Burundi,Guinée,RDC, Kinshasa .
Si la peinture d’Atsoupé porte en elle irrémédiablement l’épreuve du deuil et des traumatismes, elle est également imprégnée de l’enchantement d’une enfance vécue au contact des paysages de son Afrique natale. D’où, sans doute, ce mélange de candeur et de sourde violence qui traverse le travail de l’artiste, et confère à la surface de la toile, au subjectile, le caractère d’un épiderme portant les traces de son passé.
De fait, si de nombreuses têtes sont sauvagement criblés de trous (29 points) ou portent la marque de déchirures comme autant de cicatrices évoquant, parfois, la rage destructrice des dessins d’Artaud, la peintre témoigne, aussi, d’un art de la résilience, en réparant ses anciennes œuvres qu’elle recoud patiemment, improvisant ainsi une forme de Kintsugi à l’échelle de ses propres peintures.
Cette manière de se réapproprier ses blessures, par un véritable travail de transmutation esthétique est au cœur de la démarche artistique d’Atsoupé.
La grâce des lavis semblable à une danse apaisante ne vient-elle pas pondérer une écriture graphique, souvent, dominée par sa ponctuation agressive de points et de croix (17 points, 2 ronds ) ? Le contour des visages témoigne d’une fluidité sans pareil du trait, et d’une légèreté de la touche qui tranche avec la présence inquiétante de couteaux ou de sang (Et alors..? Et maintenant ?) (le rêveur).
La grâce des lavis semblable à une danse apaisante ne vient-elle pas pondérer une écriture graphique, souvent, dominée par sa ponctuation agressive de points et de croix (17 points, 2 ronds ) ? Le contour des visages témoigne d’une fluidité sans pareil du trait, et d’une légèreté de la touche qui tranche avec la présence inquiétante de couteaux ou de sang (Et alors..? Et maintenant ?) (le rêveur).
La peintre magnifie, enfin, ses portraits par un traitement des couleurs, emportant les figures dans des dégradés subtils, mêlant des bleus de Prusse, des rouges carmin ou des verts de jade. (Peine)
Si l’épiphanie du visage est au cœur de l’œuvre d’Atsoupé, sa peinture manifeste également un souci insolite pour tout ce que Derrida a désigné par le terme de parergon; à savoir ce qui vient compléter l’œuvre sur le mode de l’ornementation, voire du superflu.
La surprenante variété des formats proposés par l’artiste ne témoigne-elle pas de sa difficulté à contenir son geste pictural dans le seul cadre du tableau ? L’élan de sa peinture ne déborde-t-il pas les limites de sa toile ? À l’instar du sublime, dont les romantiques disaient que le sentiment infini qui le porte, outrepasse nécessairement toute limite, il y a dans l’art d’Atsoupé une forme de transe qui l’emporte par-delà toute œuvre finie. Sans doute a-t-elle été le témoin de « quelque chose d’énorme, de sauvage, de barbare » qui la submerge encore - trop grand pour être dit, trop fort pour être peint - et dont Diderot faisait le seul terreau de la poésie.
La surprenante variété des formats proposés par l’artiste ne témoigne-elle pas de sa difficulté à contenir son geste pictural dans le seul cadre du tableau ? L’élan de sa peinture ne déborde-t-il pas les limites de sa toile ? À l’instar du sublime, dont les romantiques disaient que le sentiment infini qui le porte, outrepasse nécessairement toute limite, il y a dans l’art d’Atsoupé une forme de transe qui l’emporte par-delà toute œuvre finie. Sans doute a-t-elle été le témoin de « quelque chose d’énorme, de sauvage, de barbare » qui la submerge encore - trop grand pour être dit, trop fort pour être peint - et dont Diderot faisait le seul terreau de la poésie.
L’importance de l’ornementation, l’instabilité du cadre, et l’abondance des facéties plastiques participent, sûrement, d’une variation baroque permettant à l’artiste de s’écarter de ce fond inquiétant et tragique.
En malmenant les codes traditionnels de la peinture, Atsoupé est proche de nombreux auteurs d’Art brut, qui s’accommodent difficilement des conventions en matière de représentation. Car, ce n’est pas seulement, le cadre en bois, le « frame » anglais qui entoure la composition que perverti l’artiste, mais aussi son support en l’agrémentant de nombreux éléments de récupération.
Ses tableaux ne sont-ils surchargés d’accessoires apparemment incongrus, à l’instar d’ornements qui viennent de surcroît disperser l’attention du spectateur ? Le regard n’est-il pas fréquemment attiré par ces ajouts de quadrillages qui recouvrent étrangement le visage ? Que dire de ces morceaux de cartons, des napperons, des flèches (la fille du serpent), des couteaux, des médailles ou de ces pièces d’étoffes et de lainage qui viennent s’intégrer, avec humour souvent, au vocabulaire plastique de l’artiste ?
En usant de ces matériaux pauvres qu’elle trouve dans son environnement quotidien, la démarche d’Astoupé s’inscrit tout autant dans une parenté manifeste avec les outsiders, qu’en noble héritière des surréalistes qui firent des brocantes et des passages le labyrinthe de leurs flâneries. Mais, elle témoigne aussi du besoin d’accumuler aux travers de ces rebuts, d’un désir plus ancien de recoller des morceaux de passé, à l’image de ses toiles décousues qu’elle reprise inlassablement comme autant de plis d’une étoffe déchirée, en écho à sa propre enfance dispersée.
C’est d’ailleurs dans ses poupées, souvent dépourvues de tête, que l’artiste assemble tous ces matériaux en donnant libre cours à son imagination la plus débridée. Il n’y plus que des fripes dérisoires en forme de fétiche. Le visage a parfois entièrement disparu - mais il reste pourtant là, terriblement absent, comme tapi dans les marges de cette peinture insolite et profonde.
Philippe Godin