Malgré l’apparente simplicité de ses motifs essentiellement centrés sur la figure humaine, la peinture de Gastineau Massamba n’en présente pas moins les caractères d’un hermétisme redoutable, tant l’espace pictural semble se refermer dans un huis clos à la fois étrange et familier. En choisissant de peindre sur des toiles de lin invariablement noires, le tableau ne prend-il pas l’aspect d’une chambre noire - en forme de clin d’œil, peut-être, au dispositif de la camera obscur cher à Léonard de Vinci et aux maîtres hollandais ?
D’où la dimension baroque de cette peinture qui confère aux toiles l’allure des monades de Leibniz sans portes, ni fenêtres. Contrairement à une tradition picturale faisant descendre l’éclairage du ciel ou d’un rapport frontal et extérieur, la lumière ne paraît-t-elle pas provenir des tréfonds de la toile ? Lumière d’outre-tombe ? Elle semble plutôt monter du sol comme pour mieux témoigner de ce rapport si fécond qui nous lie à la terre, et à ses fenaisons. C’est dans ce clair-obscur que Gastineau Massamba installe ses personnages en les peignant pour la plupart en pied, solitaires ou triples, accompagnés parfois de quelques motifs végétaux et animaliers, comme autant d’attributs symboliques d’une existence rendue à sa virginité. L’éclat des tournesols ponctuant de leurs feux colorés la pénombre des toiles renvoie sûrement à la présence tutélaire de Van Gogh qui règne sur cette peinture au réalisme transfiguré.Ailleurs, un homme tient un aigle dont la splendeur du plumage mordoré suggère la puissance et le calme souverain. Ce rapace à la vue redoutable ,n’incarne-t-il pas la figure d’un totem bienveillant pour le peintre dont l’art de la vision consiste à scruter le réel par-delà les ténèbres ? N’est-il pas également cet oiseau de paradis prenant sous ses ailes les rescapés du génocide Lari au Congo, dont l’artiste se fait le témoin dans plusieurs de ses toiles ?
Les peintures de Gastineau Massamba sont traversées d’une tension entre la présence vivante des corps que le lyrisme exacerbé de la touche emporte dans le débordement de ses formes ondulantes au chatoiement de couleurs vives, et le caractère ascétique associé à l’extrême noirceur de l’univers désespérément vide qui les entourent. Cette dualité est elle-même redoublée par le contraste intense entre le traitement du corps que la peinture au doigt exalte en rendant au plus vif l’intensité expressive des mouvements corporels, et la facture distancée du visage peint au pinceau, acquérant ainsi la fixité hiératique d’un masque recouvrant la vie pulsionnelle de la chair. À la manière de suppliciés sur leurs bûchers, les figures ne semblent-elles pas s’embraser sous le feu d’une peinture incendiaire- suprêmes offrandes d’un art affranchi de tout formalisme ?
L’omniprésence du cri, l’angoisse des regards ne participent-elles, pas enfin d’un acte de résistance dont le philosophe Gilles Deleuze attribuait à l’art, la seule fonction édifiante dans un monde privé de transcendance ? N’est-ce pas cette aptitude à “tenir bon” au milieu des situations les plus inhumaines, dont l’artiste rend compte à sa manière ?
Depuis onze ans qu’il vit à Paris, l’artiste né à Brazzaville n’a toujours pas obtenu la régularisation de ses papiers malgré la reconnaissance de son art dans de nombreuses expositions, son mariage et la naissance de sa fille. L’administration française qui avait déjà refusé la naturalisation à Picasso, parviendra-elle à entendre sa demande ? Peindre ou écrire c’est souvent s’adresser silencieusement à un être idéal, une mère, un père, une sœur ou un même un pays que l’on aimerait convaincre de sa valeur. Cette douleur que Gastineau Massamba s’acharne à représenter, ne fait-elle pas écho en chacun de nous à celle que l’enfant peut affronter dans l’absence de réponse à ce qu’il ressent ?
Philippe Godin